• Delphine


    Portrait de Delphine de Girardin (1804 -1855 )
    fait par Louis Hersent peintre et graveur français (1777-1860)


    «Quel bonheur d’être belle !» avait écrit Delphine.
    Front clair, yeux lumineux, nez droit et bouche fine...
    La fossette au menton invite le regard
    À passer par le cou, sans jouer le bragard,
    Pour aller découvrir les trésors que recèle
    Le corsage hyalin d'où fuse l'étincelle
    Du gracieux vallon très jaloux d'exhiber
    Ses monticules frais dont le ciel vient nimber
    Les sommets occultant leurs roses auréoles
    Que désirent avoir gitanes et créoles.
    De là, partir scruter ce que cachent la main
    Et le bras orné d'or pour barrer le chemin
    À l'œil concupiscent qui s'ouvre, se dilate,
    Brille en voulant sonder la zone qui le flatte.
    Hé, retiens-toi, rimeur! ce n'est la vénusté
    Des appas qui prévaut mais, tu l'as dégusté,
    Le fruit mûr de l'esprit. Cette éminente dame
    À la plume de paon, tu sais de cœur et d'âme
    Que Paris se souvient toujours de son salon
    De nos jours, reconnu tel un brillant jalon  
    De l'histoire de l'art. Il dut voir, sous sa voûte,
    Se rassembler des gens dont l'encre nous envoûte:
                    Gautier, Musset, Hugo, Lamartine, Janin                    
    Marceline, Dumas, Balzac .. Pas un seul nain !
    En prose comme en vers, ces géants magnanimes
    Peuplent, depuis les bancs, de leurs écrits sublimes,
    Nos mémoires. Hommage à celle qui les fit,
    Sous son toit, se grouper pour l'énorme profit  
    De tous leurs successeurs y voyant des archanges
    Qui méritent respects, estimes et louanges.

       

    Mohammed ZEÏD


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  • La révolte du Caire, 21 octobre 1798

     

    Anne-Louis Girodet-Trioson , 
    peintre et graveur
    français
    (1767-1824)


    La campagne d’Égypte, épisodes sanglants
    Que le calame aigu de l'histoire du monde
    Dut tracer à Guizeh, avec une encre immonde.
    La plaine des sablons aux reflets aveuglants
    La raconte à ce jour aux eaux du Nil qui gronde.

    Le peintre Girodet, chargé par un certain
    Denon, peignit fort bien la barbare tuerie :
    Un hussard, sabre en l'air, oh! quelle brusquerie!
    Se rue en tempêtant, bourré de chambertin,
    Sur un serviteur nu, pour calmer sa furie.

    Le pauvre esclave avait son maître presque mort
    Sur les bras. Tout autour, corps éventrés, sans têtes,
    Échines en débris...Horreur! ces âmes prêtes
    À défendre leurs biens et quel que soit le sort
    Que leur veut l'importun adorant les conquêtes.

    Le gros canon rugit, l'épée et l'espadon
    Rougirent dans les mains de la troupe françoise
    Venue exterminer ces gens couleur d'ardoise
    Soulevés, sur leur sol, pour qui tout abandon
    Trahison se nommait. Là, nul ne s'apprivoise !

    Confisquer leurs labours, les accabler d'impôts,
    Pour asseoir, fortement, l'État venant de naître
    Et donner un coup bas au voisin, le grand maître
    Des océans et mers, le british dont les pots
    De fer brisaient les bols terreux pour son bien-être

    Nul avant vous n'a pu, les vaillants pharaons,
    Dompter. Le fleuve bleu, sur sa terre déserte
    Que la sombreur du soir guère ne déconcerte
    Abreuvait des guerriers et non des machaons.
    C'était courir, sans mors ni frein, à votre perte.

    Voulant chasser l'envahisseur venu de loin,
    Les insurgés étaient chez eux, dans leur mosquée,
    Pour fixer la façon d'agir lorsque, piquée
    Par le gros taon de la grandeur, de tout recoin
    Surgit votre armada, de bombardiers, flanquée.

    Octobre se souvient de son vingt-et-un, jour
    Marqué de sang, jour où le ciel sans nuages
    Dut se vêtir de noir, jour où, du mont des sages,
    Des pieux et des saints jusqu'au tout dernier gour
    Le deuil frappa les gens ayant vu ces carnages.


     Mohammed ZEÏD
     

     


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  • La Tentation de Saint Hilarion.


    peinture de Dominique Papety
    (1815-1849)
       
    H
    ilarion le Grand, le saint anachorète,
    À Gaza, vit le jour ; puis, âgé de quinze ans,
    Il alla séjourner parmi les partisans
    D'Antoine du désert qui vivait en ascète
    Éloigné des hameaux, ruchers des paysans.

    Après un long périple : Égypte puis Sicile,
    Dalmatie et  Kibris* où la mort le surprit,
    Son seul trésor était son lumineux esprit.
    Cet ermite connut la paix sur la belle île
    Où resplendit son nom tel un beau saint-esprit.**

    Le prieur qu'il était, tout imbu de science,
    Avait choisi la pauvreté, l'isolement,
    La chasteté... Pour lui, piété seulement
    Élevait l'âme au ciel : prier dans le silence
    D'une grotte à l'écart, preuve de dévouement.

    Ce qui guère ne plut à Satan le perfide
    Qui vint alors un jour exhiber les appas
    D'une nymphe aguichante, à ravir, par ses pas
    De danseuse mi-nue et par sa chair limpide
    Offerte aux yeux d'abord tel un exquis repas.

    L'homme sage comprit. Il repoussa des mains
    Le tentateur pour l'envoyer jouer sa farce
    Ailleurs. Il triompha. Sous son aspect de garce,
    Le démon, confondu, perdit ses traits humains
    Et disparut, muet tel un mauvais comparse.


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    *Kibris : Chypre,  en turc
    **saint-esprit : bijou en forme de colombe.
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    Mohammed ZEÏD




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  •  

     Jérôme de Stridon 


    Antonio de Pereda y Salgado
    peintre espagnol du siècle d'or
    (1611 -1678)

     


    Ô saint homme pieux, fut-ce dans cette grotte
    Que tu dus sans relâche exprimer en latin
    Les vieux écrits connus de ton esprit zélote ?
    Le jour qui n'éclairait qu'à moitié, le matin,
    Cet endroit à l'écart, garde-t-il une trace
    De ces parchemins que ni les princes de Thrace
    Ni ceux de Bethléem n'avaient dans leur fortin ?

    Ton labeur qui fut pur et de très longue haleine,
    A dû subir maints coups de plume par des vers
    Auxquels la vérité fit peur et, pour ta peine
    Sans nul respect, ont dévêtu, tes justes vers
    Pour les mal accoutrer de nippes à leur guise.
    Que d'habits différents voit-on ! Chacun déguise
    Selon son goût et prend le revers pour l'obvers.

    Ô toi qui dûs porter les guenilles d'ermite
    Pour imiter,en tout, ton maître égyptien,
    Toi qui sus déchiffrer l'écriture sémite,
    Hommage t'est rendu ; bien que de ton ancien
    Livre il ne demeurât que des pages fanées
    Dont des fous vipérins ont, le long des années,
    Détruit le noble sens. Chaque secte a le sien.

    Au fil des versions, ton verbe, sans lumière
    Devenu, s'est perdu, ses lettres ont pâli
    Pour finir tel un brin d'une rose trémière
    Que la flamme a brûlé, que la cendre a sali.
    Ö pauvre vérité, les mains sales des scribes
    Corrompus t'ont changée en basses diatribes
    Pour plaire à leur cerveau de mesquin bengali.

     

     

    Mohammed Zeïd

     

     

     


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  • El sueño del caballero o La vida es sueño,
    "Le rêve du cavalier" ou "La vie est un rêve"
    Antonio de Pereda  (1611 - 1678) peintre espagnol du siècle d'or.

    *****

    Le cavalier vaincu par le sommeil s'endort
    Dans un fauteuil, sa main calant sa lourde tête.
    Un ange aux cheveux blonds d'élégante fillette
    Lui montre un phylactère élucidant la mort.

    La mort qui vient piquer puis prestement s'envole
    Après avoir sorti l'âme de sa prison
    Laissant le corps au trou recouvert de gazon.
    -Mots en latin valant mieux que toute parole.-

    Sur la table, un amas d'objets : argent, bijoux,
    Pistolet, chapetet, livre,bougeoir, horloge...
    Ah! le temps! Ah! Il sait remplir le nécrologe.
    Ô mortel, rien ne sert d'empiler ces joujoux.

    Oui, derrière ton dos, resteront tes richesses
    Tu partiras sans rien car sans rien tu naquis.
    Tes os s'effriteront, sois-tu baron, marquis
    Ou roi..Ni beaux palais, ni banquets, ni maîtresses!

    L'ange s'en va, le chevalier ouvre les yeux.
    Il répète: occidit ! Vie, ô mélancolie !
    Un tas de vanités, de chimères, folie !
    On finit, dépouillé,  dans un caveau crayeux.

    Les insignes d'honneur, titres éminents, gloire,
    Simples décors et mots que s'en vient balayer,
    Un jour, le fossoyeur, lui qui sait déblayer
    La terre où le bien-être est un nom illusoire.

    Sur le phylactère, on peut lire :
    "Aeterne pungit cito volat et occidit"
    il pique éternellement, il s'envole prestement, il tue.


    Mohammed ZEÏD


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